UN PARCOURS

 

Travailler ?...

Lyonnais d'origine, je décide à 20 ans de partir...

Direction Aix en Provence, sous prétexte de poursuivre des études jamais rattrapées. Le climat du sud est en réalité propice à l'assouvissement de ma passion pour l'escalade de haut niveau.

Au début des années 80, l'escalade n'est pas encore la gymnastique verticale que nous connaissons aujourd'hui, les structures artificielles n'existent pas, notre terrain de jeu est donc la falaise, plus précisément les contreforts de la Montagne Sainte Victoire.

C'est un jeu exigeant, dans lequel la maîtrise de soi trouve sa quintessence par la pratique du solo de haute difficulté, avec un engagement total, puisque la vie, chaque jour, est mise dans la balance.

Introspection, découverte de soi et de la liberté, manière d'exister à travers une mobilisation de tout son être, en marge des contraintes sociales.

Un jour de 83, à la plage, je découvre le Windsurf en suivant les évolutions d'un planchiste dans les vagues. Je suis alors frappé par l'adéquation à l'élément, par la manière dont la planche devient prolongement de l'homme non pas pour dompter la vague, mais pour jouer avec elle.

La plastique de l'objet n'est pas moins intéressante, faite de courbure complexes dont la conjonction produit un volume riche, harmonieux, évocateur de performance.

Suite à des cogitations plus qu'irrationnelles, m a décision est prise : je serai shaper (anglicisme, shape = forme, le shaper façonne des planches ou des surfs).

Trois mois de travail dans un des rares ateliers existant permettent d'acquérir quelques bases, l'apprentissage sera rapide : tout reste à inventer.

 

C'est l'heure !

En Août 84 je monte un dossier de création d'entreprise avec Bruno Gouvy, mon ami de l'extrême, et nous créons Farigoulette Connection.

Malheureusement, contrairement à moi qui suis passé à autre chose, "Gouvtor" ne s'est pas calmé et se tue bientôt en surf à l'aiguille Verte.

Je suis gérant de société, j'ai 25 ans, je ne suis jamais monté sur une planche.

Avec quelques autres, je contribue alors à l'invention d'un métier, dont les techniques particulières sont empruntées d'une part à l'artisanat et au feeling, d'autre part à la haute technologie, particulièrement celle des matériaux composites.

Le challenge consiste à réaliser en petites séries des pièces uniques, sur-mesure pour des passionnés. Non seulement performantes et fiables, les planches doivent être profondément porteuses du style de chaque shaper. En effet, la motivation du client est quelque part irrationnelle, il s'adresse au shaper comme à un gourou, celui qui fera le bon diagnostic pour lui procurer l'objet du désir, le vecteur de son besoin de dépassement.

La créativité est bien entendu le principal atout, elle se manifeste dans la recherche sur les formes (les millimètres qui changent tout), sur les structures (beau et solide) et sur les décorations, uniques elles-aussi, qui achèvent de personnaliser le produit.

Les expositions régulières (7 ans au Salon Nautique de Paris, 3 ans à l'ISPO de Munich) répondent à la nécessité de montrer, permettent la construction d'une image de marque et crédibilisent la recherche de débouchés commerciaux.
Une structure de production performante, relayée par un réseau de revendeurs permet de définir directement avec le client le programme d'utilisation de sa planche, ainsi que les grandes lignes de la décoration, et de le livrer dans toute l'Europe dans un délai de une à quatre semaines.

Entre 84 et 91, environ 3000 planches sont ainsi réalisées et distribuées dans toute l'Europe.

A partir de la guerre du golfe, l'effet de mode s'estompe, un climat d'insécurité amène les gens à restreindre leurs loisir. D'autre part, le travail de développement et les progrès techniques s'avèrent être une arme à double tranchant puisqu'ils encouragent le remplacement du parc custom-made par des produits de série. Pour avoir un avenir là-dedant il faut devenir hyper-technicien et être prêt à rempiler pour 10 ans...

 

Changer le monde

En 91, la décision est prise de changer d'activité.

Cela coïncide avec une double motivation personnelle :

- la volonté de développer une forme d'ingéniosité technique qui à trouvé son expression dans la planche à voile, pourquoi pas dans d'autres domaines ?
Il s'agit de détourner la haute technologie et de trouver des solutions simples, à taille humaine, à des problèmes complexes. Les applications les plus immédiates sont les prototypes et les petites séries, ainsi que l'élaboration de process.

- l'envie d'approfondir l'exploration du potentiel créatif des matériaux composites,

sur différents modes :
- forme
- structure
- performance
- texture
- optique

et dans différents domaines :
- design d'ameublement (pour la dimension culturelle et la proximité de l'homme),
- décoration (pour l'exemplarité des applications),
- sculpture (pour la liberté dans la création).

Le changement est radical, les moyens inexistants, la stratégie dramatiquement utopiste, il s'agit ni plus ni moins que de changer le monde. C'est un objectifs un peu flou...Qui demande une motivation sans faille. Le quotidien, c'est le R.M.I., l'incertitude, tout a faire à partir de rien. L'équilibre de vie s'en trouve extrêmement perturbé.

De cette perturbation naît alors MONOMAN, un essai sur le décalage, sur l'incommunicabilité et son caractère destructeur. Ce texte auto produit est diffusé de la main à la main.

La survie s'organise autour de prestations ponctuelles qui vont du prototype au jardinage en passant à peu près par tout ce qu'il y a entre les deux, l'avantage est d'apprendre à tout faire.

La voie vers la "vraie vie" passe par la démonstration de ce qui a été pressenti, en premier lieu en design de mobilier. Commence alors le développement d'une gamme de meubles qui doivent être exemplaires de mon approche d'une esthétique composite.

En 93 j'organise une exposition sur le design composite dans le cadre des JEC (Journées Européennes des Composites) .J'y présente mes premiers meuble-concepts ainsi que les créations d'une dizaine de designers et d'artiste. J'expose également à Meuropam. Le succès d'estime est immédiat

En 93/94 le concours national "matériaux d'avenir pour l'ameublement" m'apparaît comme une opportunité pour faire connaître mes recherches. Après un an de travail acharné je suis lauréat de ce concours et j'expose au Salon du Meuble. Quelques contacts industriels semblent prometteurs.

A la demande du représentant du principal groupe d'ameublement français, je travaille sur un concept de table légère, facile à assembler et pas chère. Mais je ne m'intéresse guère au design de produits et ces recherches débordent sur la notion de nomadisme urbain, illustrée par un exercice de style nommé Nomad's Land. Pour le client potentiel c'est de la science fiction, et moi un extraterrestre.

En 95 et 96 les expositions au Salon du Meuble de Paris et à la biennale de design Intérieur de Courtrai (Belgique) ne font que confirmer cette impression, bien qu'elles suscitent une certaine reconnaissance : de l'avis général les meubles sont beaux, parfaitement fonctionnels et profondément originaux dans leur conception.

La place essentielle est laissée à la forme, au volume, aux courbes, avec un constant souci d'intégration et finalement de simplification. La forme, c'est l'esthétique, la symbolique, le rythme, les assemblages et les fonctionnalités. le maximum de choses dans le minimum de pièces

Les matériaux sont profondément intégrés les uns aux autres dans des structures composites complexes aux performances étonnantes, la recherche en ameublement dérive inexorablement vers un intérêt accru pour les matériaux eux-mêmes car c'est finalement là que réside la véritable révolution pour le genre humain.

La technologie, avec ses progrès extraordinaires a brouillé les cartes de l'héritage culturel, il n'y a plus de limite, plus rien d'impossible, il suffit de faire naître un besoin pour qu'aussitôt les technocrates, les ingénieurs, nous inventent des matériaux sans noms pour résoudre le problème.

 

l'artiste qui sommeillait entre alors en scène

L'occasion lui en est donnée par Stéphane Braconnier, artiste peintre, ami de toujours, qui vient de remporter le concours du 1% de l'Ecole Nationale des Arts et Techniques du Théâtre décentralisée à Lyon.

Dès le départ, Stéphane m'associe à l'élaboration du "Mirage", sculpture peinte dont le corps sera réalisé en matériaux composites. En septembre 97, je déménage pour revenir à Lyon et réaliser ce projet, ce qui demandera six mois de travail.

Mais c'est la participation à Viv'Art98 qui sera la première occasion de confronter mon travail de sculpteur avec un public motivé. Le succès est au rendez-vous puisque la totalité des pièces produites en direct durant ce week-end de création seront vendues.

Je suis devenu sculpteur...

Ce n'est pas une décision prise à la légère, profondément autodidacte, j'ai toujours privilégié face aux problèmes la recherche de ma propre solution.

Après m'être si souvent confronté à l'incompréhention lorsque je répondais à la fonction, j'aspire à la liberté d'une création artistique sans alibi et surtout sans compromis.